La législation antiterroriste menace-t-elle nos libertés?

Publié le par Benjamin Pestieau

«La législation antiterroriste menace-t-elle nos libertés ?»
C'est à cette question que j'ai dû répondre, comme candidat PTB+, en compagnie de représentants du CDH (Clotilde Nyssens), d'Ecolo (Fouad Lahssaini), du PC (Paulo Marcus) et du CAP. Cela se passait ce lundi 4 juin dans le bâtiment bruxellois du Centre d'Action Laïque. 58 personnes étaient présentes pour nous écouter et pour débattre avec nous. Cette initiative était organisée par le Clea (Comité pour la liberté d'expression et d'association), la ligue des droits de l'homme ainsi que le Centre d'action laïque bruxellois...

DSC02278.jpg Le PS et le MR n'ont pas daigné se présenter au débat. Le PS a invoqué comme motif pour ne pas venir que la présence du Clea parmi les organisateurs fausseraient l'objectivité du débat.

Ne serait-ce pas plutôt un moyen pour le PS de ne pas devoir rendre des comptes sur le bilan très noir des socialistes dans ce domaine?


En effet, le bilan de cette législature en matière d'avancée ou de recul démocratique est très noir.

> sur le plan législatif, on a rarement autant légiféré pour limiter les droits démocratiques sous prétexte de "lutte contre le terrorisme":  la loi du 6 janvier 2003 concernant les méthodes particulières de recherche et de quelques autres méthodes d'enquête, la loi du 19 décembre 2003 relative aux infractions terroristes, la loi du 27 décembre 2005 adoptée en vue d'améliorer les modes d'investigation dans la lutte contre le terrorisme, etc.


> sur le plan de la pratique judiciaire, on a déjà pu constater les conséquences désastreuses que ces lois pouvaient avoir en matière de recul démocratique.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les lois "anti-terroristes" et qui n'ont pas peur de lire, je vous recommande deux excellents documents:

> > Le rapport 2006 du Comité de vigilance en matière de lutte contre le terrorisme (Comité T). 

> >
Loi anti-terroriste ou loi de criminalisation de la resistance à l'injustice? Contribution du Progress Lawyer Network au Congrès de l’Association Internationale des Juristes Démocrates à Paris du 7 au 11 juin 2005 



Sinon, vous trouverez ci-dessous l'essentiel de ce que j'ai expliqué lors de cette conférence...

DSC02276.JPGUne histoire fausse...

J'ai commencé par tordre le cou à un schéma analytique à travers lequel on a vendu les législations anti-terroristes. Quelle est la version officielle? Il y a eu le 11 septembre 2001. C'est inacceptable. Nos pays n'ont pas les moyens juridiques et policiers pour contrer la menace terroriste. Il faut des nouvelles lois, il faut des nouveaux droits pour la police.
Conclusion:
Le 11 décembre, la chambre votait quasi à l'unanimité le projet de loi relatif aux infractions terroristes. Le 29 décembre il est publié au moniteur.  


Ce vote s'est déroulé quasiment sans débat. La Commission de la justice du Sénat allant même jusqu'à refuser d'entendre (qu'est-ce que ça coûte d'écouter?) la ligue des droits de l'homme sur le sujet!

Une histoire vraie...

Pourquoi cette précipitation? Parce qu'il fallait faire passer au plus vite un projet de loi anti-démocratique préparé depuis longtemps tant que l'opinion publique était choquée par les différents grands attentats (New York, Madrid,...). Vous pensez que j'exagère?

Le projet de loi belge relatif aux infractions terroristes n'est en fait que la transposition quasi mot pour mot de la «décision-cadre» du Conseil de l'UE (c'est le conseil qui rassemble tous les chefs d'Etat de l'UE) du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. Mais cette décision cadre n'a pas été improvisée. Elle était elle-même la transposition d'un document préparatoire [1] de la Commission Européenne paru le 19 septembre 2001. 8 jours après les attentats de New York. On sait que l'administration travaille vite mais quand même;-). La Commission a adapté une introduction pour faire le lien avec les attentats du 11 septembre. Mais le fond était prêt depuis longtemps...  

En clair, les lois anti-terroristes n'avaient aucunement pour but de répondre aux attentats de type Al Quaida comme on a essayé de nous le faire croire. Plus encore, ces lois sont inutiles pour combattre les organisations terroristes du type de celles qui ont commis les attentats de New York, Madrid ou Londres. Et en plus d'être inutiles, elles sont dangereuses pour la criminalisation des mouvements sociaux. C'est du fantasme?

Des lois inutiles...

Les lois relatives aux infractions terroristes (décembre 2003) sont inutiles car l'arsenal législatif existant avant ces lois était largement suffisant pour pouvoir faire condamner ou enquêter sur des organisations qui ont commis ou qui sont prêtes à commettre des attentats comme on a connu à New York, Londres ou Madrid. En résumé, les événements via lesquels on a vendu à l'opinion publique ces lois ne seront pas mieux traités par ces nouvelles lois que par l'arsenal législatif précédent. Mais qu'apportent-elles de plus alors?

Des lois dangereuses...

Il serait trop long pour faire une analyse détaillée de la loi. Mais tentons d'analyser 3 aspects de cette législation:
Terroriste ou pas?
Tout d'abord la loi, dans sa définition d'infraction terroriste, est tellement vague qu'elle peut englober un panel très large de comportements qui n'ont rien avoir avec le terrorisme comme tout un chacun le conçoit. Lisons l'article 1er de cette loi, l'article 137 §1 du code pénal: «Constitue une infraction terroriste, l'infraction prévue (...) qui, de par sa nature ou son contexte, peut  porter gravement atteinte  à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d'intimider gravement une population ou de contraindre indûment  des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale.»

Reprenons différents éléments de ce premier article:

>> son contexte:  cela veut dire qu'une même infraction en fonction de contextes différents pourrait recevoir ou pas le label 'terroriste'. La loi ne donne aucun exemple de ce qu'elle entend par contexte. Est-ce une manifesation ou un large mouvement de grève? Ou autre chose?
>> peut: l'infraction ne doit pas avoir porté gravement atteinte, etc. Le fait ne doit pas être établi. Elle doit avoir pu porter atteinte. Le juge a tout le loisir d'interpréter cela comme si l'infraction aurait pu ou pas porter gravement atteinte...
>> porter gravement atteinte:  qu'est-ce que cela veut dire porter gravement atteinte à un pays? De nouveau, l'interprétation du juge est très large.
>> intentionnellement: à nouveau la marge d'appréciation du juge est énorme pour juger de l'intention réelle de celui qui a commis l'infraction. 
>>  d'intimider gravement une population:  à partir de quand intimide-t-on GRAVEMENT une population?
>>  contraindre indûment: en quoi le juge est-il à même de décider que la contrainte est légitime ou illégitime? Quels seront les critères qu'il devra utiliser pour le dire? La loi ne dit rien sur le sujet...

Un exemple réaliste
Lors d'une grève générale et interprofessionnelle, qu'est-ce que fait un syndicat?  N'essaye-t-il pas de contraindre des pouvoirs publics à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte? Est-ce légitime ou illégitime comme contrainte? Si une infraction quelconque est commise au cours de cette grève (bloquer les entrées d'une ville par exemple) est-ce que les syndicats seront désignés comme groupes terroristes? Et les centaines de milliers de syndicalistes seront taxés de terroristes?

Ceci serait impossible pour le moment car le rapport de force ne le permettrait pas. Néanmoins les outils juridiques sont en place pour agir de la sorte.

Nos parlementaires ont voulu nous rassurer en ajoutant dans la loi l'article suivant: «Une organisation dont l’objet réel est exclusivement d’ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique ou religieux ou qui poursuit exclusivement tout autre but légitime  ne peut, en tant que telle, être considérée comme un groupe terroriste au sens de l’alinéa 1er.»

A la lecture 3 réflexions s'imposent:
a] le fait même qu'on a dû rajouter cette clause n'est pas rassurant. Cela montre le caractère éminemment politique des lois anti-terroristes et les dérives qu'elles pourraient générer.
b] exclusivement: qu'est-ce que cela veut dire une organisation dont l'objet est "exclusivement" d'ordre syndical? La réponse d'un patron et d'un ouvrier ne sera certainement pas la même. Et celle d'un juge? 
c] exclusivement tout autre but légitime: à nouveau, sur quel base le juge peut-il dire qu'un but est légitime ou pas? Est-ce que la résistance armée du peuple palestinien est légitime? Je répondrai personnellement par l'affirmative. Mais un juge que dira-t-il? Et plus important, sur quel critère fondra-t-il son jugement si ce n'est sur ses idées politiques?
Terroriste et alors?
Normalement, en droit, il y a ce qu'on appelle le principe de non-discrimination. Cela veut dire qu'un même délit doit recevoir le même traitement et les mêmes peines. Et bien les lois anti-terroristes violent ce principe. Pourquoi?

Une fois qu'une infraction reçoit le label "terroriste", que se passe-t-il? 

Tout d'abord, le prévenu encourt des peines plus lourdes que si la même infraction est jugée sans le label "terroriste". Par exemple, une infraction qui peut recevoir normalement une peine maximum de 6 mois, si elle est affublée du label 'terroriste', on lui associera alors une peine maximum de 3 ans.

Ceci amène immédiatement 2 réflexions:
a] Pourquoil les motivations 'terroristes' d'un délit seriaient-elles plus graves que les motivations vénales d'un même délit? Personne n'a jamais su me répondre à cette question...
b] Pour les terroristes qui ont tué plein de gens (comme à NY ou à Madrid), rien ne change, ils écoperont de la peine maximale. Ces nouvelles lois ne seront effectives que pour les plus petits délits, ceux qui ne ressemblent déjà plus tellement à du terrorisme...

Ensuite, le principe de non discrimination est violé par l'élargissement des possibilités de détention préventive. En effet, pour pouvoir vous maintenir en détention préventive, il faut que la peine maximum dont vous êtes menacé soit d'au moins 1 an. Mais le label 'terroriste' alourdit les peines. Un délit auquel est normalement associé une peine de maximum de 6 mois on lui associe maintenant une peine de 3 ans. La préventive devient donc tout à fait possible pour le prévenu!

Finalement, la nouvelle législation viole le principe de non discrimination car elle ouvre la possibilité d'utiliser des méthodes d'enquête particulièrement intrusives, contraire aux libertés et droits fondamentaux pour des délits mineurs. Hors celles-ci sont normalement illégales pour des délits mineurs 'simples'.


Vous pensez que tout cela est de l'exagération? Et bien, les dérives ont déjà commencé. Vous pouvez lire quelques exemples concrets de l'application de cette nouvelle législature dans le rapport 2006 du Comité T cité plus haut...
Je n'ai rien fait d'illégal mais je me prends quand même 5 ans...
Les lois relatives aux infractions terroristes incluent le délit d'appartenance. Vous pouvez être condamné à de lourdes peines même si vous n'avez commis aucun délit. Le simple fait d'être membre d'un groupe terroriste suffit. En effet l'article 140. - § 1er. affirme: "Toute personne qui participe à une activité d’un groupe terroriste, y compris par la fourniture d’informations ou de moyens matériels au groupe terroriste, ou par toute forme de financement d’une activité du groupe terroriste, en ayant connaissance que cette participation contribue à commettre un crime ou un délit du groupe terroriste, sera punie de la réclusion de cinq ans à dix ans et d’une amende de cent euros à cinq mille euros."

>> Une participation même anecdotique est condamnable.
>> La participation doit contribuer à commettre un crime. Mais à partir de quand y contribue-t-on?
>> Il faut que le prévenu soit conscient que sa participation contribue à commettre un crime.

A nouveau, il y a une grande place à la subjectivité du juge. Par exemple, récemment, un juge belge a condamné Bahar Kimyungür (un ressortissant belge d'origine turque) à 5 ans de prison. Son crime? Avoir traduit un communiqué du DHKC, une organisation que le juge avait défini comme organisation 'terroriste'. Comme l'explique Jean Bricmont (professeur à l'UCL): "Le fait de traduire des textes ne peut pas être en soi un délit : des journalistes ou des chercheurs traduisent régulièrement des communiqués d’Al-Quaïda, et personne ne le leur reproche. Ce qui est reproché à Kimyongür, c’est, implicitement au moins, l’intention avec laquelle il a fait ces traductions, à savoir aider le DHKP-C. C’est bien là tout le problème : est-ce que l’intention qu’il y a derrière une action, en soi parfaitement légale, suffit à la rendre illégale ?"

Exemple danois: des citoyens sont menacés de 10 ans de prison pour avoir récolté des fonds pour soutenir le  Front populaire de Libération de la Palestine. Rien que ça!

Oui mais que faire contre le terrorisme?

Face à des attentats comme ceux de NY, Madrid ou Londres, nous avons vu que les nouvelles législations anti-terroristes sont inutiles. Mas comment empêcher ce genre d'attentats? Les pistes centrales sont politiques et sociales:

> La Belgique ne doit pas intervenir dans des conflits injustes ou soutenir des guerres criminelles comme celle qu'il y a en Irak. Notons que les deux seuls pays qui ont été touchés par des attentats de grande envergure avaient des troupes d'occupation en Irak.
> Une des mesures les plus efficaces dans la lutte contre le terrorisme serait de sortir de l'OTAN et de faire sortir le QG de l'OTAN de notre territoire. En effet, les installations de l'OTAN constitue une cible potentielle pour des attentats terroristes internationaux. Impossible? La France l'a fait sous De Gaulle dans les années 50...
> La Belgique doit agir, dans la mesure de ses possibilités, pour une paix juste au Moyen-Orient et contre toutes les guerres que des pays comme les USA mènent un peu partout dans le monde... 

Actions du PTB dans la lutte contre les lois anti-terroristes...

En 2001, l'avocat Jan Fermon (candidat PVDA+ au Sénat), bien avant que la loi soit approuvée au parlement belge, a lancé avec ses collègues français, Antoine Comte et ses collègues néerlandais Tier Praekken, respectivement avocats au barreau de Paris et d'Amsterdam, le tout premier appel européen contre la « décision-cadre » du Conseil de l'UE: Les droits démocratiques ne doivent pas devenir les dommages collatéraux de la guerre contre le terrorisme. Depuis cet appel a été signé par des dizaines et des dizaines de juristes européens.

A peine les lois anti-terroristes étaient-elles votées que le réseau d'avocats dans lequel les avocats du PTB sont actifs (PLN) organisait en mars 2004 un colloque de sensibilisation sur le danger de ces nouvelles législations.

Depuis des années, les avocats du PTB se sont toujours engagés dans la défense de militants poursuivis injustement par l'appareil judiciaire. Derniers exemples: altermondialistes de Liège, victimes du procès DHKC,...

Le PTB s'est également engagé dans le soutien aux victimes des listes des organisations terroristes. Par exemple: José Maria Sisson.

Dans la mesure de nos moyens nous faisons un travail de sensibilisation et de mobilisation sur le sujet dans un maximum de secteur de la société.

Propositions du PTB

L'objectif du PTB est de faire abroger ces lois. Pour cela, il reste encore un travail de conviction parmi les forces démocratiques. Certains de nos amis politiques les plus proches et les plus courageux comme Josy Dubié (qui s'est engagé corps et âme contre le procés injuste du DHKC) ne sont pas encore convaincus qu'il faut abroger ces lois (cf. Conférence sur les lois anti-terroristes à la fête du 1er mai du PTB). Il y a là encore un travail de conviction et de rassemblement encore à effectuer.

De plus en plus de gens, d'associations, de syndicalistes commencent à comprendre le danger de ces lois. Nous soutiendrons toutes les initiatives qui viseront à rassembler l'ensemble des forces démocratiques susceptibles d'être victime de ces lois: syndicats, ONG, Greenpeace, altermondialistes, partis,... jusqu'aux  riverains de l'aéroport qui veulent des nuits sans bruit,...

Nous défendons également le renforcement du contrôle démocratique de la justice:
>> Toutes les infractions qui sont relatives à un délit politique doivent être du ressort d'une cour d'assise. Le législateur doit intervenir dans ce sens. Les jurisprudences de la cour de cassation de ces dernières années ont tellement restreint le champ du délit politique qu'aujourd'hui, seul l'attentat contre le roi et la fraude électorale constituent des délits politiques.

>> Nous voulons que le citoyen soit beaucoup plus impliqué dans la machine judiciaire. Nous nous opposons à la tendance actuelle de les en éloigner. Nous voulons étudier les pistes suivantes de démocratisation de la justice: incorporation de citoyens dans des jurys hors cours d'assises, élections des juges et procureurs, etc.

Nous voulons plus de transparence. C'est pourquoi, nous voulons débattre des propositions suivantes:
> Publicité des rapports des Comité P et des Comité R
> Accès pour chaque citoyen à son dossier (éventuel) constitué par la Sûreté de l'Etat.
> Soutien de la proposition de loi Dubié qui a pour but d'informer tout ressortissant belge qu'un mandat d'arrêt international a été délivré contre lui.
> Accès égal aux preuves et documents par toutes les parties au cours d'un procès. Aucune information ne peut être placée sous le sceau de la confidentialité. 

[1] Proposition de décision-cadre du Conseil relative à la lutte contre le terrorisme, COM (2001) 521 final, Bruxelles, 19/09/2001

Publié dans démocratie

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E
Et Clothilde Nyssens, la copine des Loups Gris, qu'est-ce qu'elle a dit ?Bravo pour ton intervention. Et merde au PS !
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